Loin d’être simple, la question de la jeunesse en Haïti se pose en des termes assez particuliers : il existe dans l’imaginaire haïtien une vision de la jeunesse comme dépravation ou en quelque sorte un état, pour ne pas dire une étape, de la vie qui correspond à l’immaturité. La notion est souvent, dans cette même logique péjorative, relativisée dans un conflit intergénérationnel : « gramoun yo echwe, jèn yo dejwe ». C’est, en effet, dans un rapport antagoniste vieux/ jeunes qu’on établit une frontière entre débauche et pleine responsabilité ; moralité et immoralité ; stupidité et sagesse. Comme s’il existait une complète rupture dans la vie d’un même individu : un avant et un après.
Il s’en suit qu’il serait intéressant de trouver à quel moment exactement de la vie d’un humain débute sa jeunesse, est-ce simplement une question d’âge ? D’autres pourront arguer que la jeunesse n’existe pas vraiment au sens où on le conçoit, puisqu’on est toujours vieux de quelqu’un d’autre. Ce petit papier entend moins définir ou réfléchir sur la notion de jeunesse en général que de présenter des aspects de ses diverses acceptions dans la société haïtienne, et du même coup offrir une autre vision de la jeunesse qui, jusqu’à présent, était sous les verrous de la doxa commune. C’est plus une (ré) habilitation, un plaidoyer pour la bonne jeunesse.
Toutes les sociétés donnent droit de cité aux clichés, mais ici, on en fait une affaire sacrée, c’est devenu légitime par force d’habitude. Car s’ils ont quelque chose de populaire, c’est qu’il épargne, en bien des façons, d’un souci de rigueur dans leur forme et en ce qui a trait leur vérité. Tout l’intérêt se porte vers la conclusion qu’importent les prémices n’existeraient pas ou qu’elles soient un peu tirées par les cheveux. Comme si l’important n’était pas de dire bien et vrai mais simple de se tâcher d’énoncer. Ce qui fait sa popularité, c’est ce côté trivial : tout le monde s’estime compétent, et peut par conséquent y aller de soi.
En effet, la jeunesse haïtienne d’aujourd’hui n’est pas exempte de toutes sortes de clichés négatifs. Ces derniers ont pour fondement l’attribution d’un rôle et de certaines attentes : on entend toujours que la jeunesse est l’avenir de la société, conséquemment, on attend elle qu’elle se conforme à l’ultime tâche messianique qui lui est confiée. Par cela, on projette sur les jeunes un regard plein de maturité, on leur confie des missions d’une grande ampleur et on s’attend que chacune de leurs actions ou comportements correspondent à la réalisation de cette mission de sauvegarde de la société. Cependant, on oublie souvent de les dire pourquoi, aujourd’hui, la société doit être sauvée ? C’est ce qui s’explique dans les déclarations des plus âgés : « jenès tèt anba », « jenès bòdègèt ». Un discours assez minable nous faisant surtout croire que les jeunes ne sont que des fêtards dans un cimetière. Ils leur confient précocement d’une main des responsabilités qu’ils reprennent dans l’autre en clamant leur déception. C’est ce qui se trouve au fondement de ces clichés sur la condition juvénile. Ils sont gravés fortement dans la tradition.
La jeunesse n’est pas un hasard, c’est tantôt une réalité naturelle, tantôt une étape dans la vie sociale. Néanmoins ce qui est certain, c’est que nous ne sommes pas nés jeunes. Au sens où cela correspond à un processus, une progression dans le temps. Comme telle, il est indubitable que la jeunesse est une construction de la société ; elle referme une valeur politique dans la mesure où l’avenir de la société repose sur ses épaules. Mais, dans le réel, ce n’est pas la seule vision qu’on se fait d’elle. Ainsi, en Haïti, actuellement, il y a un regard particulier projeté sur les jeunes. Ceci pourrait s’expliquer par leur forte représentation sur le plan qualitatif au sien de la société : c’est constaté par plus d’uns, la population haïtienne est très jeune. Bref…!
Venons-en aux considérations les plus essentielles. Tout se fait autour d’un grand trait, une frontière, imaginaire qui sépare les vieux des jeunes. Néanmoins, cette frontière n’est pas fixe, elle est souvent déplacée pour des raisons bien précises, ce que l’on a surtout comme repère ici correspond à une masse de valeurs faites de clichés n’ayant aucune logique en arrière-fond.
Ce qu’il faut surtout comprendre, c’est que la jeunesse se présente en deux versants : c’est vrai qu’il y a le coté fêtard, immature, et tout ce qui rentre dans cette même catégorie. C’est tout à fait courant, c’est commun à toutes les sociétés. Cependant, ce n’est pas la version unique existante. Il existe aussi en Haïti, à l’ombre de tous les stéréotypes sur les jeunes gens, une jeunesse qui en vaut la peine. Elle est partout dans toutes les couches de la vie sociale assumant entièrement son rôle de porteur d’espoir. Dans l’ombre, elle se bat en réfugié dans une république de gérontocratie. On ne lui laisse pas la place, n’en déplaise au fait qu’elle soit plus compétente, plus motivée. On nous vend principalement dans l’espace publique haïtien l’autre versant comme seul existant. La bonne jeunesse, comme je le nomme, étant marginalisée, elle est soit en fuite sous d’autres ciels que celui de sa patrie, soit de passage dans la tienne propre, les yeux rivés vers d’autres horizons prêts à lui fournir un espace où elle se sent valoriser.
La société est fondée sur des concessions sinon la vie en commun n’aurait été possible. Celle-ci se fait tant sur les institutions que sur les valeurs. Le nous, même si c’est parfois au détriment de quelque volonté individuelle, doit définir certaines valeurs qui doivent faire « unanimité » et du même coup, considéré comme exception ce qui ne rentre pas dans ce cadre ou table de valeurs. D’un côté, il y a les règles et de l’autre les exceptions. Il est impérieux aujourd’hui de poser un regard neuf sur la bonne jeunesse, celle qui travaille honnêtement, qui étudie pour servir, qui ne croit pas dans la facilité. Cette jeunesse a besoin d’être représentée par des modèles clairement définis. Le modèle érigé devant nous dans tous les domaines aujourd’hui n’inspire que la médiocrité et la facilité.
En fin de compte, Je dois être plus claire et finir par une touche plus concrète : Tonimix (celui-là est même vieux.), Roody Roodboy, Baky, Blondedine… (La liste est longue, vous allez pouvoir compléter vous-mêmes.) , loin d’avoir une dent contre ces gens et ce qu’ils représentent, ne peuvent demeurer les modèles représentatifs de la jeunesse. Il existe à l’ombre de la trivialité une jeunesse vertueuse prête à être le représentant de valeurs sures du mérite et de la rigueur, des qualités dignes d’être érigée en règle.
Par Rayan Obed Sanon